L’intelligence artificielle bouscule depuis quelques années de nombreuses professions, mais ce que nous n’avons pas prédit c’est qu’elle puisse également avoir un impact dans le monde de l’art. En effet, il existe de plus en plus d’œuvres créées à partir de programmes informatiques, et celles-ci sont de plus en plus présentes dans les milieux artistiques.
Par exemple, en 2008 le duo français Fabien Giraud et Raphael Siboni exposent Last Manœuvres in the Dark au Palais de Tokyo. Leur installation, composée de 300 masques de Dark Vador, diffuse en continu un morceau qui semble tout droit sorti de la BO du Retour du Jedi, mais qui pourtant est bel et bien généré par une intelligence artificielle.
Outre la musique, les arts graphiques sont également touchés par cette évolution puisque l’IA est désormais capable de créer des impressions sur toile. Le Portrait d’Edmond de Belamy conçue par le collectif français Obvious a été d’ailleurs la première œuvre générée par une IA à se vendre aux enchères. Ce portrait fictif s’est vendu à 432 500 dollars chez Christie’s en 2018.
Art algorithmique et Code de la propriété intellectuelle
Cette nouvelle manière de créer donne naissance à ce que l’on appelle « l’art algorithmique » ou encore « l’art génératif ». Mais dès lors qu’une œuvre est créée par un algorithme, peut-on vraiment parler d’œuvre de l’esprit ? Une œuvre créée par une IA peut-elle être protégée par le droit d’auteur au même titre qu’une œuvre créée par une personne physique ?
Au sens du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre est protégeable à condition d’être originale, et pour être originale l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur (sa patte, son style, sa conception personnelle).
Dans un premier temps, la titularité du droit d’auteur rattachée à une œuvre créée par ordinateur ne faisait aucun doute car le programme informatique était considéré comme un simple outil mis au service du processus créatif, comme le seraient un pinceau et une toile.
Cependant, l’évolution de derniers modèles d’intelligence artificielle montre que le programme informatique utilisé ne sert plus d’outil : en réalité, il prend une grande partie des décisions liées au processus créatif sans aucune intervention humaine. Cela est vrai notamment pour le fameux Portrait d’Edmond de Belamy créée par le collectif Obvious. Derrière ce collectif se cache en effet trois amis d’enfance qui ont la même particularité : ils n’ont aucune formation ou vocation artistique, puisque deux d’entre eux sont issus d’écoles de commerce, et que le troisième est un expert en IA.
Liberté, créativité et décision orientée
Il semble donc que les choix supposés libres et créatifs de l’auteur, sont en réalité entrepris par un programme informatique capable d’évoluer pour arriver à prendre des décisions de manière orientée ou autonome.
Le 11 octobre 2023, une première décision a été rendue en Europe à ce sujet (plus précisément en République Tchèque). Le tribunal municipal de Prague a jugé qu’une image générée par IA n’est pas une œuvre de l’esprit et ne peut donc pas bénéficier d’une protection par le droit d’auteur « car elle n’est pas le résultat unique de l’activité créatrice d’une personne physique ».
Cet « art génératif » pourrait donc avoir de très importantes conséquences pour la législation sur le droit d’auteur en France. Ces réflexions soulèvent en effet la possibilité d’une création d’un droit sui generis, c’est à dire d’un droit qui lui serait propre puisque ces œuvres ne semblent pas répondre aux critères légaux du droit d’auteur.
Sources :
- L’intelligence artificielle et le droit d’auteur, article rédigé par Andres Guadamuz, OMPI Magazine, Octobre 2017.
- Obvious, hackers de l’art, documentaire de Thibaut Sève, 2023.
- IA et droit d’auteur : première décision judiciaire en Europe [République Tchèque], article rédigé par Pierre Pérot, Inès Bouzayen et, Camille Abba, August Debouzy Paris, 10 avril 2024.
- Intelligence artificielle et droit d’auteur, par Georgie Courtois, Jean-Sébastien Mariez, et Jeanne Roussel.
Crédit Image : Générée par IA par nos équipes via Midjourney